Primeurs 2018 – 1119 vins commentés et notés par Yves Beck


Primeurs 2018

 

Bordeaux 2018 : millésime de paradoxes

Les vins présentés durant les Primeurs 2018 sont dignes de nombreuses qualifications et l’on pourrait parler d’un millésime de synonymes. « Jouant » quotidiennement avec les mots, j’ai trouvé cette dénomination tout à fait adaptée. Certes, une « année de synonymes », cela veut tout et rien dire. Tous les adjectifs imaginables ont été utilisés ; entre grand, moyen, exceptionnel, hétérogène, tout y a passé. Je me suis décidé pour le terme « paradoxal ». Pour bien souligner les caractéristiques de l’année 2018, j’ai cherché les synonymes de « paradoxal » et voici ce que j’ai trouvé :

Synonymes de paradoxal

Bizarre, inconcevable, incroyable, extraordinaire, contradictoire, inouï, invraisemblable, opposé, pharamineux. Ces quelques mots résument parfaitement la situation. Je rajouterai également un millésime unique… mais ce terme peut être utilisé chaque année.

Millésime de souffrances également, car la vigne a souffert, les vignerons ont souffert, toutes catégories confondues. Que ce soit le mildiou, le black rot et autres maladies qui se sont attaquées à la vigne, ce fut éreintant. En 2018, je n’ai pas rencontré un seul vigneron qui m’a dit que tout s’était bien passé.

Cabernet Sauvignon à maturité

C’est un élément connu : lorsque le Cabernet Sauvignon arrive à parfaite maturité, il peut aider à produire de très grands vins. Les appellations de St-Estèphe, Médoc, St-Julien ou Pauillac le démontrent brillamment en 2018. Les appellations de Pomerol et de St-Emilion ont également produit de très grands vins et je tiens à souligner l’exceptionnelle qualité des Cabernets Francs en 2018. Cela m’a frappé sur plusieurs propriétés.

Encore une fois j’aimerais souligner la grandeur de Fronsac : quelle régularité et quelle qualité. Je ne manquerai pas d’également souligner le très beau tir groupé de Lalande-de-Pomerol où j’ai rarement vu autant d’homogénéité, et c’est bien là que les Primeurs 2018 sont intéressants ; il y a de grands vins partout, mais il n’y en a pas suffisamment pour que l’on puisse parler de grande année, ce qui n’est d’ailleurs pas vraiment un souci, vu que nous nous concentrons, avant tout, sur les grandes bouteilles indépendamment de leur classement ou statut.

Évidemment, je ne peux terminer sans mentionner les appellations que j’ai oubliées ci-dessus, comme Margaux, Pessac-Léognan, Haut-Médoc, Montagne St-Emilion, Bourg, Castillon, Francs, Listrac, Moulis. Je le répète volontiers, j’ai dégusté des vins bons à très grands, partout ! Et des moins bons… partout aussi !

Sauternes

J’ouvre une parenthèse pour Sauternes, une région qui me tient à cœur. Tout comme les autres régions viticoles de Bordeaux et comme en 2000 et 2016, Sauternes a expérimenté un millésime en deux parties distinctes, subissant toutes les épreuves d’une première mi-temps très difficile et une belle seconde moitié. Merci à Bill Blatch pour le compte-rendu.

L’hiver a été généralement très froid, surtout en novembre (-1,6 degrés en moyenne min), décembre (-0,4) et février (-2,0), mais surtout extrêmement humide, surtout en décembre (+54% au-dessus de la normale), janvier (+40%) et mars (+64%). Ces conditions étaient positives, avec des bourgeonnements tardifs, pas de gelées dangereuses et de bonnes réserves en eau.

Les températures sont restées élevées en avril et les journées pluvieuses se sont suivies. Journées humides et sans vent en mai et juin, ce qui a retardé la floraison et qui a ouvert la voie au mildiou qui a attaqué avec férocité. De nombreux domaines de Sauternes et de Barsac ont perdu beaucoup de production à ce stade et à nouveau lors de l’attaque encore plus virulente du mois de juillet.

Pas de vin à Château Guiraud

Par ailleurs, les 26 mai et 15 juillet, deux tempêtes de grêle d’une ampleur exceptionnelle ont balayé la région bordelaise, les 26 mai et 15 juillet, la première épargnant pratiquement Sauternes mais la seconde dévastant la bande de vignes qui s’étend de Budos à Langon et fait des ravages dans le sud de Sauternes et Fargues (d’où la production nulle à Ch Guiraud et presque nulle à Ch de Fargues).

Ensuite, un revirement s’est produit. Le 21 juin les températures sont passées de 20°C à 30°C et le 23, l’anticyclone d’été est arrivé. Il n’y a eu qu’une seule vague de chaleur extrême du 2 au 6 août, qui s’est avérée trop forte pour certaines jeunes vignes sur des sols plus légers mais généralement la chaleur n’était pas excessive et c’est la sécheresse, plutôt que la chaleur, qui a contribué à ce que les raisins ont concentré leur jus et durci – voire desséché – leur peau.

Petits rendements, belle qualité

Pour certains, où le botrytis s’était « fatigué », il était un peu trop tard mais, pour la plupart, il fournissait des moûts d’une grande douceur sans excès (la plupart tournés à 115-135 g/l résiduel), d’un pH assez élevé (la plupart dans la gamme 3.8-3.9) et d’une acidité assez faible (la plupart dans la gamme 3.5 – 3.8) qui étaient plus que compensés par la fraîcheur des fruits et le parfait équilibre alcool – douceur. Ce seront de merveilleux vins doux mais puissants avec de bons potentiels de garde (mêmes grands pour quelques-uns). A Sauternes, 2018 se distingue par des rendements extrêmement faibles, donc peu de vin.

A quel millésime le 2018 fait-il penser ?

Je n’entrerai pas dans la discussion des comparaisons car, pour être franc, je ne vois pas vraiment à quoi le comparer. Certes, on relève des similitudes, mais comment voulez-vous comparer des millésimes alors que tant de vins diffèrent au sein du même millésime…. Il doit y avoir environ 8 000 millésimes 2018.

En résumé

Vous l’aurez certainement compris, il y a un peu de tout dans ce millésime… mais est-ce vraiment surprenant ? Pour faire simple, le millésime 2018 est bon à grand, avec de très grands vins qui marqueront l’histoire !

Bordeaux Primeurs 2018
© 2019 – Yves Beck


L’histoire du millésime

Hiver doux suivi d’un printemps humide

L’hiver annonçait peut-être déjà la couleur (si l’on pense à l’été qui a suivi) avec par exemple un mois de janvier certes très peu ensoleillé (le plus gris, avec janvier 2004, depuis 1991) mais néanmoins un des plus chauds des cent dernières années. Février, lui, était plutôt sec et froid avec 16 jours de gelées et un épisode neigeux les 6 et 7. Ensuite, les incessantes pluies ont particulièrement compliqué la situation et ont suscité beaucoup d’inquiétudes.

Ces pluies ont également rendu les travaux à la vigne plus ardus car les sols, gorgés d’eau, étaient difficilement praticables. Ainsi, en plus du travail acharné des vignerons, il faut souligner l’exceptionnel engagement des tractoristes avec leurs véhicules, indispensables pour combattre des maladies telles que le mildiou.

« C’est un millésime complexe, déstabilisant, puisqu’il a mal commencé, avec beaucoup de pluie » souligne Baptiste Guinaudeau de Lafleur (Pomerol).

Avril contrasté, mois de mai et juin particulièrement pluvieux favorisant le développement du mildiou

Le gonflement des premiers bourgeons était observé autour du 10 avril soit environ 10 à 12 jours plus tard qu’en 2017. Alors que le début d’avril était froid, des températures estivales sont enregistrées entre le 17 et le 24 atteignant jusqu’à 25°C certains jours ! Dans ces conditions, les stades phénologiques évoluent rapidement, alors que le débourrement était plutôt tardif, la situation semblait s’équilibrer et le millésime rentrait dans une phase proche de la moyenne. On compte environ onze jours de pluie en avril 2018, mais avec beaucoup de variations entre les différentes appellations. Ces précipitations se sont déroulées au début et à la fin du mois, souvent sous formes d’averses ou d’orages. Ces conditions étaient très favorables au développement végétatif et à la fin du mois, trois semaines après le débourrement, les premières grappes étaient visibles.

C’était néanmoins sans compter avec le mois de mai. Celui-ci débutait comme avril : frais, voire même froid avec 2.4°C enregistrés le matin du 1er mai à St-Emilion. Le développement végétatif était ainsi temporairement ralenti. Ensuite, les températures sont remontées avec des chaleurs estivales entre le 17 et le 24 mai. Ce mois s’est également caractérisé par de fortes précipitations avec 70mm à St-Emilion entre le 24 et le 29 et 100mm dans le Sud-est de l’Entre-deux-mers. Le 26 mai, un orage de grêle s’abattait sur Blaye, Bourg, une partie du Médoc et l’Entre-deux-mers. 2 500ha de l’appellation Bourg ont été touchés, dont 1 000 avec plus de 80% de pertes.

Floraison

Les premières fleurs sont apparues fin mai, dans des conditions thermiques satisfaisantes. La floraison s’est déroulée normalement sur une dizaine de jours, sans coulures, malgré un épisode pluvieux entre le 6 et le 7 juin.

Après la pluie : la grêle qui s’apprête à faire vibrer les vignes et 22 personnes qui s’apprêtent à faire vibrer la planète

Après de début de saison très compliqué, tout devait drastiquement changer à partir du 15 juillet 2018 lorsque l’été, et la sécheresse (qui n’a pas rendu la situation moins compliquée) se sont installés durablement. Mais avant cela, la météo a fait des caprices. Jean-Philippe Delmas, Directeur Général Délégué du Domaine Clarence Dillon, le résume parfaitement dans sa présentation du millésime :

« Samedi 15 juillet, il est 17h00. Le viticulteur scrute le ciel, anxieux, les nuages pleurent (ndlr : grêle dans la région des Graves) et 22 personnes s’apprêtent à faire vibrer la planète. A 18h45 l’équipe de France est championne du monde pour la deuxième fois de son histoire et, dehors, la pluie a cessé. L’année 2018, grâce à l’été le plus chaud et sec connu après 1990 et 2016, a le potentiel et l’ambition de devenir un très grand millésime. »

Sébastien Vergne, Directeur technique du Château Margaux, souligne que « l’année 2018 a été la plus chaude depuis le début du 20ème siècle, dépassant la température moyenne annuelle de 1,4°C sur le plan national ». Les 10 premiers jours du mois d’août ont été 4°C supérieurs aux moyennes trentenaires.

Sécheresse marquante

Baptiste Guinaudeau me faisait néanmoins remarquer, lors de ma visite à Lafleur (dont le vin est, une fois de plus, brillant) que ce ne sont ni la pluie et ni la chaleur qui sont marquantes, mais bien la sécheresse. « Une fois que les pluies étaient terminées, il y a eu une évaporation énorme et il s’en est suivi une contrainte hydrique proche des records de 2010, 2015 ou 2016. Malgré la pluie, on peut considérer que le millésime 2018 est de type sec. »

L’été exceptionnellement sec à partir de mi-juillet a permis de réduire la pression mildiou et d’assurer la maturation des raisins.

Avant de passer à mi-juillet, il faut parler des 15 premiers jours de ce mois où la situation fut très compliquée. En effet, il y a eu de nombreuses précipitations, avec des variations importantes d’une région à l’autre avec, par exemple, 40mm dans le nord du Médoc et près de 100mm dans le Sauternais. Ces conditions humides et chaudes ont entretenu une pression mildiou considérable et la croissance végétative demeurait très active. C’est peut-être là que tout s’est joué car la condition pour un millésime rouge parfait, à savoir un climat sans précipitation après la nouaison, n’est pas remplie. Heureusement les conditions météorologiques ont radicalement changé dès la mi-juillet, laissant place à un été chaud et sec, particulièrement favorable à une maturation lente.

Véraison

Les premiers changements de couleur ont été observés vers fin juillet. A l’exception des vignobles grêlés, la véraison a été rapide et homogène. Elle s’est terminée autour du 15 août.

Conditions qui déterminent généralement un millésime parfait de bordeaux rouge

  • Une floraison et une nouaison relativement rapides et homogènes sous un climat assez Chaud et pas trop arrose pour assurer une bonne fécondation et prédisposer à une maturité Homogène.
  • Une contrainte hydrique s’établissant progressivement grâce à un mois de juillet chaud et Sec, provoquant le ralentissement puis l’arrêt définitif de la croissance de la vigne au plus tard Pendant la véraison.
  • Une maturation complète des différents cépages grâce à des mois d’aout et septembre suffisamment secs mais sans chaleurs excessives.
  • Un beau temps, moyennement chaud et faiblement arrose pendant les vendanges, permettant d’attendre la maturité optimum de chaque parcelle sans redouter la dilution, la pourriture, ou la perte des arômes fruités.

Ces conditions n’ont donc pas tout été remplies en 2018 mais le résultat n’en est pas moins convaincant. Comme je l’écrivais en préambule, Bordeaux 2018 est un millésime qui oscille entre bon et grand, mais avec quelques très grands vins. Il y a de quoi se réjouir avec les primeurs 2018 !

Ce rapport a été rédigé grâce aux précieuses informations de l’Institut des sciences de la vigne et du vin de l’université de Bordeaux.

Je tiens à remercier sincèrement toutes les propriétés, syndicats viticoles, laboratoires œnologiques, qui m’ont accueilli à bras ouverts et qui m’ont hébergé. Sans leur soutien il ne me serait pas possible de rester deux mois à Bordeaux durant les primeurs. Vive Bordeaux et vive le vin ! Bonne lecture.

Pour télécharger le rapport complet des Primeurs 2018, pour la modeste somme de €15,00, vous pouvez cliquer ici

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